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Sénat : ceux qui bossent, ceux qui se planquent

Lyon Capitale publie le premier palmarès de l’activité des sénateurs. Aussi incroyable que cela paraisse, de mémoire de service presse de cette assemblée et aussi d’élus, un tel classement n’avait jamais été réalisé. Bilan : 150 sénateurs sèchent régulièrement en commission.

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Le Palais du Luxembourg est un monde à part. Les débats sont feutrés, la moyenne d’âge élevée (63,5 ans) et l’activité des sénateurs échappe à tout contrôle. Ils ne sont pas pointés en séance publique. Et pour trouver une trace de leur présence en commission, nous avons dû éplucher les journaux officiels de l’année écoulée. En réalisant notre classement, nous publions pour la première fois un cliché des travaux des 343 sénateurs français. Si nos députés sont soumis à un contrôle des médias et même des citoyens par des classements publiés presque tous les mois, nos sénateurs vivaient jusque là cachés et donc heureux. Qui savait par exemple qu’une dizaine d’entre eux ne mettaient jamais les pieds au Sénat ? Que 150 sénateurs ont participé à moins de 20 commissions en 2009-2010, séchant ainsi plus de la moitié des séances auxquelles ils étaient censés participer. Qui savait aussi qu’une centaine de sénateurs fréquentait très assidûment les séances publiques comme les commissions ? Notre enquête a révélé des inégalités flagrantes entre parlementaires. En nous basant sur leur activité, classée selon dix critères, nous avons vu apparaître un Sénat divisé en trois. Ceux qui bossent, ceux qui sont à mi-temps et ceux qui se planquent au Palais du Luxembourg.

Nous avons même trouvé un sénateur, François Vendasi, qui ne vient jamais à Paris et ne s’en cache pas. Les parlementaires que nous avons contacté n’ont pas sourcillé quand nous leur avons annoncé que Jean-Pierre Sueur occupait la plus haute marche. Et tous ont deviné que Didier Borotra, maire de Biarritz et auteur d’une seule question écrite cette année, fermait la marche. Il y a aussi ceux qui, presque honteusement, dissimulent leur inactivité derrière des textes de loi co-signés ou des questions écrites. Jean-Jacques Masson, sénateur de la Moselle, est ainsi le roi incontesté de la question écrite : 612 posées en un an. En revanche, il n’a jamais mis les pieds dans la commission à laquelle il appartient. Quant à la pertinence de ses questions écrites, elle laisse souvent songeur comme lorsqu’il demande à un ministre l’espace à respecter entre chaque tombe dans un cimetière. Il se murmure même dans les couloirs du palais du Luxembourg qu’au ministère de l’Intérieur un fonctionnaire est spécialement chargé de répondre à ses questions.

Nul ne sera surpris non plus de constater que les dix premiers de notre classement ne sont pas des “cumulards”. “Le fait de ne pas avoir d’autres mandats m’aide à me consacrer pleinement à mon rôle de parlementaire. J’arrive à suivre beaucoup de sujets”, explique Jean-Pierre Sueur, sénateur PS du Loiret et premier de notre classement. Les sénateurs de milieu de tableau, les médiocres, cumulent, eux, souvent des fonctions dans des exécutifs locaux. À l’image d’un Gérard Collomb, sénateur-maire et président du Grand Lyon. Son activité parlementaire en séance publique s’est résumée à sept interventions. En commission, il est venu neuf fois. Beaucoup de sénateurs que nous avons contacté le considèrent comme l’archétype du sénateur fantôme. Il laisse pourtant derrière lui une grosse centaine de sénateurs. Cela en dit long sur l’activité générale du Sénat. Mais il y a une constante chez les 343 sénateurs de France : leur rémunération. Elle est la même pour le dernier comme pour le premier : 7650 euros brut par mois.

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Les trois familles du Sénat

Notre classement fait apparaître un sénat divisé en trois. Celui des médiocres, des cancres et puis il y a aussi des bons élèves. À chaque fois, ils sont une centaine. “Notre assemblée n’est pas en première ligne comme l’Assemblée nationale. Nous ne sommes pas médiatisés”, nous confie Christiane Demontès. Et certains ont intérêt à ce que le Sénat reste dans l’ombre tant leur activité est anecdotique.

:: Les bons élèves
Ils sont tout de même une centaine à honorer réellement leur mandat. Avec en tête de notre classement, Jean-Pierre Sueur. Au total, en commission comme en séance, il a pris 1162 fois la parole. Durant l’année, il s’est exprimé sur à peu près tous les sujets. La première place de Jean-Pierre Sueur a aussi une explication plus cabotine. “Si on veut faire durer un débat sur plusieurs heures ou plusieurs jours, on lui demande d’intervenir. Il le fait gentiment et avec plaisir et cela énerve très vite les sénateurs de la majorité. Il peut faire durer l’examen d’une loi pendant deux jours”, raconte un sénateur socialiste. Notre classement illustre aussi une prime à l’opposition. “Ils sont plus bavards, plus accrocheurs. Ils tirent sur tout ce qui bouge tout en sachant que leurs demandes n’aboutiront pas. L’attitude de certains sénateurs de l’opposition est devenue plus un jeu qu’un vrai poids politique”, tempère Éric Doligé, sénateur centriste du Loiret. “Jean-Pierre Sueur, aide-t-il les entreprises en difficulté de son département ?”, s’interroge un autre sénateur.
Notre classement fait surtout jaillir un constat limpide : aucun des dix premiers n’exercent de fonctions exécutives locales. “J’arrive à m’impliquer dans mon mandat de sénateur car je suis bien entouré localement. Et puis je suis conseiller général depuis 1974 donc je connais bien les rouages de cette assemblée et comme je suis en plus dans l’opposition, cela ne prend pas trop de temps”, admet Alain Vasselle sénateur-maire UMP de l’Oise et conseiller général, 13è de notre classement. L’astuce pour être un bon sénateur cumulard serait donc de sacrifier un mandat. Un choix souvent fait au Sénat mais beaucoup, près des deux tiers du Palais du Luxembourg ont, eux, choisi de sacrifier leur mandat parlementaire.

:: Les médiocres
Ils forment le ventre mou de notre classement. Une armée souvent silencieuse, celle des sénateurs qui passent dire bonjour à intervalles réguliers. Des parlementaires à mi-temps. Le reste de leur temps, il le consacre à leurs autres mandats. Dans cette catégorie, on retrouve sans surprises des cumulards : Gérard Collomb (maire de Lyon et président du Grand Lyon), Jean-Claude Gaudin (maire de Marseille et vice-président du Sénat), François Patriat (président de la région Bourgogne), Alain Lambert (président du conseil général de l’Orne). Et puis il y a ceux qui sans forcément cumuler deux mandats à responsabilité n’en font pas lourd. Quelques exemples de sénateurs à temps-partiel : Christian Gaudin (202è) n’a co-signé qu’une seule loi sur l’élagage des voies publiques, le suppléant de François Fillon, Jean-Pierre Chauveau (287è) n’a posé qu’une seule question sur… le tir aux corbeaux. Dans l’armée des sénateurs anonymes, beaucoup se contentent du strict minimum. “Les débats deviennent des débats de spécialistes. Jean-Pierre Sueur parle sur tout mais ils ne sont plus très nombreux comme lui”, pointe François-Noël Buffet. Résultats quelques sénateurs n’interviennent que sur un seul sujet. Bernard Angels (176è), par exemple, est intervenu à huit reprises dont sept sur la loi de finances. “Nous légiférons trop. Parfois, nous devrions être en même temps en commission et en séance publique. Il ne faut pas s’étonner si les gradins sont vides. Et puis, pour les nouveaux sénateurs, le travail est très difficile. La première fois que l’on m’a donné un texte de loi, j’ai eu l’impression que c’était du chinois. Je ne comprenais rien. Je pense qu’il faut presque un mandat pour être efficace et trouver sa place”, se souvient Alain Vasselle (UMP). Pour info, un mandat de sénateur dure neuf ans.

:: Les “cancres”
Pour une grosse partie d’entre eux, l’étiquette cancre n’est pas assez forte. L’école buissonnière leur convient mieux. Et certains l’assument. “Je ne me rends pas souvent au Palais du Luxembourg. Je suis un homme de dossiers et ce sont les activités locales qui m’intéressent. Je préfère aider les maires de mon département. La vie parisienne, ce n’est pas mon truc. Mais on ne peut pas dire que je ne fais rien. Le travail d’un sénateur, c’est aussi la représentation locale”, s’explique François Vendasi, sénateur radical de gauche de la Haute-Corse. Sauf que l’activité de province est inquantifiable. “Je vais au Sénat une fois par an. Vous savez, moi, je suis avant tout un chef d’entreprises”, nous a confié François Vendasi. Sa dernière visite remonte à novembre 2009. Mais c’est insuffisant pour être dernier. Didier Borotra, sénateur-maire de Biarritz a fait pire. “Depuis 1992, date de mon élection, je crois que je ne l’ai vu qu’une demi-douzaine de fois”, s’amuse Alain Vasselle, sénateur UMP. Anecdote révélatrice, tous les sénateurs que nous avons contacté ont deviné que Didier Borotra était la lanterne rouge. Et puis il y a la litanie des excuses brandies pour justifier un mauvais classement. “Je m’occupe beaucoup de mes ouailles, de mes électeurs, les maires. Je suis aussi président du groupe France-Chine et vice-président du Groupe Énergie, cela me prend beaucoup de temps” précise ainsi Jean Besson, sénateur PS de la Drôme. “Tous vos critères ne me concernent pas. Je fais des déplacements pour mes rapports. Je suis un sénateur chevronné, je sais là où je peux influer et là où ma présence n’apportera rien. Je vais en commission dès qu’un sujet m’intéresse”, s’explique Jean François-Poncet, sénateur UMP du Lot-et-Garonne. Sa mémoire lui a joué des tours puisque lors de cette session parlementaire, il n’a rendu aucun rapport et qu’il n’a assisté qu’à cinq commissions. À noter qu’il est tout de même vice-président de la commission des affaires étrangères et aussi vice-président de la commission des affaires européennes.

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Et les sénateurs du Rhône ?

Collomb, l’étalon pour se rassurer
“Je dois forcément être devant Collomb”, nous a demandé le sénateur PS de la Drôme et proche du maire de Lyon lorsque nous l’avons contacté pour le faire réagir à notre classement. Son attitude est révélatrice du peu de rayonnement de Gérard Collomb au sein de la Haute Assemblée. Jean Besson savait alors qu’il était 235è. François-Noël Buffet était lui très rassuré de devancer “son” président au Grand Lyon. La réputation du sénateur Collomb dépasse les frontières de la région Rhône-Alpes. “Votre maire de Lyon, c’est une énigme. Il est invisible. Il ne vient que s’il y a une question qui concerne Lyon”, glisse Éric Doligé, sénateur centriste du Loiret. Une remarque plus tout à fait vraie. Depuis l’épisode de l’amendement Mercier-Collomb sur le grand stade de l’OL où certains sénateurs avaient redécouvert la présence du maire de Lyon dans le collège sénatorial, Gérard Collomb a fait des progrès. Lors de la session parlementaire 2009-2010, il est venu plus souvent qu’auparavant. “Jean-Pierre Bel, le président du groupe socialiste, lui a fait remarquer que sa situation était compliquée puisqu’il ne venait pas au Sénat”, rapporte une sénatrice socialiste. Depuis Gérard Collomb s’investit plus et notamment sur la réforme des collectivités locales. Il s’agit d’ailleurs de l’un des deux seuls sujets qu’il a abordé en séance publique (8 de ses 9 prises de paroles). “Il ne vient que sur ce sujet qui l’obsède. Il arrive au Sénat, il râle et il donne des ordres. Il est très autoritaire ce qui pose problème parfois à d’autres sénateurs socialistes. Nicole Bricq lui a d’ailleurs fait remarquer que son attitude n’était pas bonne”, poursuit cette sénatrice socialiste. Situé dans le ventre mou de notre classement, le sénateur Collomb est tout de même en net progrès. En 2006-2007, sa seule et unique intervention en séance avait constitué à dire “Eh oui”.

Des lauriers pour Demontès, Fischer et Dini
Guy Fischer est le premier local de notre classement, 6è. Il est vice-président du Sénat et dirige donc les débats lors de nombreuses séances. Très actif par rapport à d’autres vice-présidents, il se différencie notamment par sa présence en commissions. Le deuxième rhodanien est une sénatrice : Christiane Demontès. “J’ai eu l’habitude d’être première. Si Guy Fischer est mieux classé que moi, c’est qu’il a plus de temps. Il n’a pas d’autres mandats. Il peut passer plus de temps à Paris”, souligne Christiane Demontès, sénatrice-maire socialiste de Saint-Fons et 14è de notre classement. Muguette Dini est la dernière de la catégorie “bons élèves”. Au Sénat, elle préside la commission des affaires sociales. Les autres sénateurs du Rhône sont dans le ventre mou du classement. François-Noël Buffet s’estime pénalisé par nos critères qui ne prennent pas en compte les missions des parlementaires. Il a ainsi prêté main forte à Christine Lagarde, la ministre de l’économie, sur la suppression de la taxe professionnelle.

Pignard traumatisé par sa boulette
“À part quand Jean-Jacques Pignard se plante, on ne parle jamais des sénateurs”, nous a lâché un sénateur socialiste. Le remplaçant de Michel Mercier, Jean-Jacques Pignard, est devenu la risée des parlementaires français pour s’être trompé en décembre lors d’un vote sur le redécoupage électoral. Ce jour-là, le sénateur centriste du Rhône avait le pouvoir de vote de l’ensemble des 29 élus de son groupe. À l’heure de voter, il a donné ses voix à un amendement, proposé par l’opposition, supprimant le projet gouvernemental. Depuis le sénateur Pignard n’a pas compensé sa “boulette” par son activité (322è) ni fait reparler de lui.

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